jeudi 26 mars 2015

Souvenirs de lecture 5 : Gaëlle Josse




Souvenirs de lecture 5 : Gaëlle Josse


   Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui c'est à Gaëlle Josse que j'ai voulu poser ces questions. Je la remercie chaleureusement pour son temps si précieux, sa gentillesse et sa disponibilité jamais démentie.


LLH :  Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué, et pourquoi?


GJ        Au sortir des lectures enfantines et des premières lectures adolescentes avec Balzac, Zola, Hugo, Kessel, Bazin, Mauriac, la "littérature jeunesse" étant alors un concept inconnu, j'ai rencontré, en fin de collège ou en seconde, un livre qui m'a profondément marquée, La chute de Camus. Je crois y avoir trouvé tout ce que j'attendais d'un livre, sans le savoir. Plus d'histoires à rebondissements, plus "d'intrigue", plus de personnages flamboyants, de dialogues percutants, de descriptions de robes, de chapeaux. Simplement un livre qui murmure à l'oreille des choses essentielles. Ou peut-être, plus précisément, l'intuition de choses essentielles pour plus tard, car je ne pouvais pas alors tout comprendre de cette histoire, seulement deviner tout ce qu'elle portait en elle.

            La confession d'un homme à un inconnu, une nuit, dans un bar d'Amsterdam, autour de quelques verres de genièvre, avec le port, la mer, tout proches. Une atmosphère prenante, juste évoquée. Un homme se retourne sur son passé, sur un geste qu'il n'a pas su faire, sur un remords. Sa vie a basculé pour ce moment d'indifférence.

            J'ai trouvé là, dans un format très court, un livre qui interroge sur le sens de nos actes, sur notre juste place dans le monde, sur nos failles et nos désespoirs, sur notre solitude et nos envies de partages fraternels. Sur l'impossible oubli. Sur la mémoire obstinée. Sur la place de l'Autre dans nos vies. Sur le temps et sa nécessaire remontée, à l'aveugle. Sur la fragilité de nos certitudes. Je n'ai jamais relu ce livre. Il est en moi.



LLH : En quoi ce livre a-t-il influencé votre désir d'écrire?

GJ :    Difficile d'établir un lien direct et conscient ! Je suis venue beaucoup plus tard à l'écriture, mais votre question me fait réfléchir car je m'aperçois que finalement, je poursuis ces questions en écrivant, en tentant d'approcher quelques personnages au plus près d'eux-mêmes, de leur vérité intérieure, de leurs aveux, de leur intimité, de leurs blessures.

           Peut-être ce livre m'a-t-il fait prendre conscience qu'il suffit parfois de très peu de choses pour faire un livre fort, qu'il faut se débarrasser de ce qui encombre, de ce qui alourdit, pour rester dans la tension du texte, dans la tension intérieure des personnages. Une leçon, j'avoue que je n'avais jamais fait le lien.


LLH : Quelles sont vos dernières lectures coup de coeur?

GJ :     Dans le désordre, quelques-unes de mes plus belles lectures de ces derniers mois :

            Lambeaux, de Charles Juliet. Une langue éblouissante, une densité humaine, c'est d'une somptueuse beauté.

           Danser les ombres, de Laurent Gaudé, que j'admire tant. Le dernier chapitre est d'une force hallucinante, il faut absolument découvrir ça.

           Tristesse de la terre, de Pascal Vuillard, fascinante déconstruction du mythe américain, à travers le génocide amérindien et la mégalomanie de Buffalo Bill, un livre sur l'imposture, tout compte fait.

           Et aussi Le Chardonneret, de Donna Tartt, un pavé que je n'ai pas lâché, roman total extraordinaire, sur la perte, sur l'art, sur l'amitié, sur l'amour. 

           Et j'ajouterai la découverte d'un Modiano que je n'avais pas lu, La petite Bijou. L'un de mes préférés, tout compte fait, terriblement poignant sur l'enfance délaissée, mal-aimée, maltraitée. Il n'y a que Modiano pour installer, avec presque rien, ces personnages et des atmosphères uniques, à peine esquissées, tout se lit dans les blancs, les creux. Et c'est alors un vertige.


Biographie


   Après des études de droit, de journalisme, de psychologie et quelques années passées en Nouvelle Calédonie, Gaëlle Josse travaille à Paris comme rédactrice dans un magazine et anime également des rencontres autour de l'écoute d'oeuvres musicales et des ateliers d'écriture auprès d'enfants de d'adultes.

Poésie :  L'empreinte et le cercle, chez Encres Vives, 2005
               Signes de passage chez Hélices/Poésie terrestre, 2007

Romans : Les heures silencieusesaux Éditions Autrement, 2011
                 Nos vies désaccordées aux Éditions Autrement 2012
                 Noces de neige, aux éditions Autrement 2013
                 Le dernier gardien d'Ellis Island, aux éditions Noir sur Blanc collection Notabilia 2014


Encore un grand merci à Gaëlle Josse pour sa gentillesse. Tous les titres des romans de Gaëlle ayant fait l'objet d'une chronique sur ce blog sont colorisés et disposent d'un lien intégré vous permettant d'accéder à la chronique en question d'un simple clic.





1 commentaire:

  1. Très intéressant, une fois de plus. Une auteure que j'ai découverte récemment avec Le dernier gardien d'Ellis Island, qui fut un coup de cœur sur toute la ligne, une plume que j'ai hâte de retrouver dans un autre titre et sur laquelle je suis ravie de pouvoir "mettre une personnalité" .

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