mercredi 30 mars 2016

Baudelaire, le diable et moi



Baudelaire, le diable et moi de Claire Barré aux éditions Robert Laffont



La narratrice a vingt-cinq ans. Elle est dépressive, mal dans son époque. Dévorée par ses idées noires, elle pense sérieusement au suicide.

« C’est con de vouloir mourir à vingt-cinq ans. Mais on a beau le savoir, on a beau se répéter que la vie deviendra peut-être splendide un jour, le désir de mort ne s’envole pas comme ça, d’un coup d’aile de corbeau.
Il reste là, lesté au fond du ventre, à couver ses œufs de plomb. Les serres enfoncées dans les chairs tendres. Guettant la faille. Attendant qu’une brume épaisse prenne possession des lieux. »

Au hasard d’une rencontre, elle fait la connaissance d'un homme qui, flairant la cliente potentielle, la présente au diable, un diable dont les traits lui font penser à Oscar Wilde. Pour le prix de son âme, il lui propose de réaliser son vœu le plus cher : rencontrer les membres de son cercle des poètes disparus. Tour à tour elle va rencontrer Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, Roger Gilbert-Lecomte… Ces poètes maudits qu’elle admire tant. Elle a tant de choses à leur dire mais ne dispose que de sept voyages dans le temps. Chaque fois qu’elle fait la connaissance d’un de ces poètes les seuls mots qui lui viennent à la bouche sont : « Voulez vous coucher avec moi ? »

Assez déçue par ses voyages poético-charnels à travers le temps, elle étudie de près son pacte avec le diable et réussi à y trouver un vice de forme. Elle renégocie donc son contrat. La jeune femme écrit, ce qu’elle voudrait c’est créer une œuvre qui lui vaudrait la gloire. Le diable lui assigne un mentor de choix en la personne de Baudelaire.

Dans la première partie de ce roman, Claire Barré rend un hommage à ces poètes qui ont su la toucher, qui ont su la construire, qui ont été en quelque sorte sa famille.

« C’est peut-être la passion fusionnelle de mes parents qui m’a poussée à me sentir plus ou moins en trop… Ils m’ont eue tard, par accident. Et je n’ai sans doute pas contribué à étoffer leur fibre parentale : j’étais un bébé maladif et braillard, une petite fille mutique et mélancolique, une adolescente gothique et insupportable. Vilain petit corbeau éclos entre les plumes de cygnes amoureux, dont les cœurs étaient trop remplis l’un de l’autre pour y laisser une place à leur chétif rejeton. C’est sûrement pour me trouver une famille aimante que je me suis tournée vers les rayons surchargés de leur bibliothèque, y trouvant, au gré de mes lectures, des proches bienveillants et désireux de me prendre sous leurs ailes d’albatros. »

Ces poètes, elle choisit de nous les montrer dans leur vie quotidienne, dans ce qu’elle imagine qu’ils étaient en tant que personnes. Elle se les approprie et nous les rend plus proches. Elle nous présente la poésie dans tout ce qu’elle a de sensuel et de charnel.

Dans la seconde partie de roman, la partie la plus drôle. C’est le monde de l’écriture d’aujourd’hui qu’elle explore à travers les yeux avides de nouveauté de Baudelaire qui est bien plus curieux de notre temps que la narratrice. Avec en toile de fond cette question : comment rester fidèle à ce qu’on est quand on écrit pour être publié ?

« Je songe à ces artistes qui ont réussi à créer l’œuvre qu’ils avaient dans les veines… Il y en a très peu, au fond. Une poignée. Comment ont ils fait pour rester fidèles à leur voix intérieure ? Pour ne pas prostituer leur talent ? Quelle force intérieure les habite ? »

« Plus on s’efforce d’être soi, plus on a de chances de toucher l’autre. »


Ce superbe roman est un énorme coup de cœur pour moi. Claire Barré a réussi son pari d’intégrer à sa plume pleine d’émotion, de fantaisie et d’humour, les vers de ses poètes préférés qui jalonnent le roman. Avec cette comédie fantastico-poétique, elle est parvenue à me faire ouvrir avec plaisir des recueils de poèmes. Jusqu’ici j’aimais trouver de la poésie dans des romans mais j’étais plutôt allergique aux recueils. Merci Claire de m’avoir plongé dans ce monde. Baudelaire, le diable et moi est un livre à découvrir absolument. Lancez-vous à la suite de l’auteure dans ce très beau et très drôle voyage. Vous ne le regretterez pas.

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